Lettre ouverte à Les Grands Ballets Canadiens de Montréal
- Lettre ouverte à Les Grands Ballets Canadiens de Montréal
Alain Dancyger, directeur général, Les Grands Ballets canadiens de Montréal
En 2008, Jean-Luc Godard, grand cinéaste français et l’un des fondateurs de la Nouvelle vague du cinéma français dans les années 1960, a décliné une invitation à participer au Festival international du film étudiant de Tel Aviv. Ce faisant, il reconnaissait l’importance du mouvement de boycottage de l’apartheid israélien auquel appellent de nombreux organismes de défense des droits de la personne en Palestine, en Israël et partout dans le monde.
L’objet de cette lettre est un appel de Tadamon!, un mouvement basé à Montréal de solidarité avec les luttes pour l’autodétermination, l’égalité et la justice au Moyen-Orient, qui participe activement à la campagne internationale actuelle pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions contre le gouvernement.
Nous appelons Les Grands Ballets à adopter la même position courageuse et éthique que Jean-Luc Godard et de nombreux autres artistes, en annulant les spectacles prévus à Tel Aviv et à Jérusalem en été 2009. Votre visite, spécialement en cette période d’intensification des crimes de guerre israéliens à Gaza, ne ferait qu’encourager les démarches de relations publiques d’Israël visant à camoufler ses continuelles violations des lois humanitaires internationales et des droits de l’homme universels. Il serait moralement indéfendable de présenter un spectacle en Israël, surtout après le terrible bilan de morts et de destruction auquel le monde entier a assisté à Gaza.
Dans un contexte où Israël refuse de se conformer aux lois humanitaires universelles, la culture ne peut être séparée de la politique ; les spectacles et autres manifestations culturelles auxquelles des Non-Israéliens participent, particulièrement sur invitation de l’État, ont toujours une couleur politique. Surtout lorsqu’il s’agit de participer à un festival qui célèbre le 100e anniversaire de la fondation de la capitale d’Israël.
En effet, la participation des Grands Ballets au Festival de Tel Aviv contribuerait à légitimer la version officielle d’Israël quant à l’histoire de Tel Aviv et sa place dans la Palestine historique, récit qui nie le rôle clé qu’a joué cette ville dans la colonisation sioniste.
Peut-être les Grands Ballets Canadiens ne sont-ils pas informés de la campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël, qui appelle les travailleurs culturels et les universitaires à boycotter Israël : « Nous, universitaires et intellectuels palestiniens, appelons nos collègues de la communauté internationale à boycotter de façon entière et continue toutes les institutions universitaires et culturelles israéliennes afin de contribuer à la lutte pour la fin de l’occupation, de la colonisation et du système d’apartheid israéliens. »
Les Grands Ballets se seraient-ils produits en Afrique du Sud au temps de l’apartheid ? Posez-vous cette question au moment de pondérer votre décision de donner ou non un spectacle en Israël. Le parallèle est évident entre les régimes répressifs imposés aux populations locales de l’Afrique du Sud d’alors et encore aujourd’hui de la Palestine, comme le souligne clairement l’archevêque Desmond Tutu. De fait, il est aujourd’hui communément admis qu’Israël est un État d’apartheid aux politiques et aux pratiques ouvertement racistes.
En septembre 2008, les agents de sécurité de l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv, avant de laisser entrer en Israël Abdur-Rahim Jackson, membre afro-américain du Alvin Ailey American Dance Theater, l’ont obligé à danser devant eux dans l’aéroport pour prouver qu’il disait la vérité sur sa profession. Et même après qu’il s’est exécuté, un des agents a suggéré qu’il change son nom. En raison de son prénom, qui lui venait de son père, un musulman, il fut le seul membre de la troupe de danse à être soumis à ce profilage racial couramment pratiqué en Israël.
Je vous renvoie à la lecture d’un article du journal Dance Insider, dans lequel l’éditeur, Paul Ben-Itzak, appelle au boycottage de la troupe israélienne Batsheva, actuellement en tournée en Amérique du Nord. Cette déclaration puissante de la part d’un éminent chroniqueur du monde de la danse fait état de solides motifs de pratiquer le boycottage culturel.
De nombreuses personnalités culturelles d’envergure internationale telles que Ken Loach, Brian Eno et John Berger, et certains syndicats d’artistes, tel le Conseil des arts irlandais, Aosdána, on répondu à cet appel de Palestine et écarté Israël de leur programmation, comme ils avaient boycotté l’Afrique du Sud durant l’apartheid.
Nous espérons que vous lirez cette lettre dans l’esprit dans lequel nous l’avons rédigée : nous croyons que les citoyens du monde peuvent et doivent exiger que cesse l’injustice que subissent les Palestiniens, et que les droits dont ils ont été si longtemps privés soient rétablis.
Nous espérons également que Les Grands Ballets prendront conscience de l’impératif moral qui préside au boycott universitaire et culturel d’Israël et qu’ils se placeront du côté de la justice et de la paix, fournissant ainsi un exemple de conviction morale à d’autres institutions canadiennes et universitaires au Canada.
Sincères salutations,
Freda Guttman, pour Tadamon!