Israël a raison de s’inquiéter
- Rami G. Khouri Daily Star Novembre 2010. traduction : JPP
Photo Matthew Cassel Un garçon tient son sac à dos trouvé dans les décombres de sa maison familiale à Jabaliya, qui a été détruit par Israël.
Cette décision fut prise par Israël dans sa crainte que des officiels israéliens soient arrêtés et inculpés au Royaume-Uni pour crimes contre l’humanité et ce, en vertu d’une loi britannique qui lui octroie « une juridiction universelle » dans de tels cas, c’est-à-dire qu’un ressortissant de n’importe quel pays, soupçonné de tels crimes, peut être accusé, placé en détention et jugé par un tribunal britannique, même si les crimes allégués ont été commis dans un pays tiers et si on ne compte pas de citoyens britanniques parmi les victimes. La dirigeante du parti Kadima d’Israël, Tzipi Livni, a récemment annulé un voyage à Londres, tout comme le vice-premier ministre, Dan Meridor, cette semaine, ayant été informé qu’il risquait d’y être arrêté.
Les Palestiniens au Royaume-Uni ont, ces dernières années, déposé des plaintes contre des officiels israéliens à la suite desquelles les tribunaux britanniques ont émis des mandats d’arrêt à l’encontre de certains d’entre eux, mais aucun n’a réellement été mis en détention. Si cela prend une dimension si importante, c’est en raison de l’inquiétude de nombreux Israéliens – justifiée à mon avis – de voir Israël soumis à une campagne de « délégitimation ». Et c’est exactement ce qui se passe et que craignent les Israéliens, plus que toute autre chose au monde.
Ce qu’Israël convoite le plus, et qu’il n’a pas, aux yeux de ses adversaires palestiniens et autres critiques arabes et internationaux, c’est sa légitimité et sa reconnaissance. Que le Yémen, l’Algérie ou la Somalie ne reconnaissent pas Israël est une chose, mais c’en est une autre, et bien plus importante, que le gouvernement du Royaume-Uni – l’accoucheur historique du sionisme et de l’Etat israélien – émette des mandats d’arrêt accusant des officiels israéliens de crimes contre l’humanité. Il y a exactement 93 ans cette semaine que le gouvernement britannique a publié la Déclaration Balfour qui promettait de soutenir la création d’un « foyer national pour le peuple juif ». Et aujourd’hui, Londres se joint à d’autres dans le monde pour tenir responsables de leurs violations du droit international les dirigeants israéliens à la tête de ce « foyer national juif », devenu l’Etat souverain d’Israël – souverain, mais grandement non accepté encore, dans sa configuration actuelle.
Israël n’est pas spécialement préoccupé pour sa sécurité militaire étant donné ses capacités bien connues en matière d’armements, conventionnel été nucléaire. Il est en état de guerre permanent avec ses voisins depuis 62 ans, parce qu’il n’a jamais été pleinement et officiellement reconnu comme légitime par ses voisins arabes. Israël est fort militairement, politiquement, économiquement, culturellement et technologiquement, mais il est vulnérable et mal à l’aise, parce qu’il n’est pas accepté au Moyen-Orient comme un pays normal, légitime. Ceci surtout à cause de son refus de se conformer aux droits nationaux et territoriaux du peuple palestinien qu’il a grandement dépossédé, nettoyé ethniquement, déplacé et expulsé, au cours (et depuis – ndt) de la création de l’Etat à majorité juive d’Israël.
Tous les Etats arabes ont, officiellement, proposé de coexister dans la paix avec Israël sur la base du plan de paix arabe de 2002 qu’Israël ignore obstinément, il ne s’agit donc pas de la crainte d’une prétendue destruction d’Israël comme les fanatiques sionistes et d’autres singes hurleurs le prétendent. La campagne de délégitimation a pour objectif de mettre en avant la nature le plus souvent criminelle des actions des officiels israéliens, notamment quand Israël utilise des forces massives et disproportionnées, les tactiques de blocus, les punitions collectives, les incarcérations massives, la torture, l’assassinat, la colonisation, le vol des terres et tant d’autres actes illégaux et criminels dans ses rapports quotidiens avec les Palestiniens et les autres Arabes.
Si Israël a réagi avec tant de véhémence et de façon quasi irrationnelle l’an dernier au rapport de la Commission Goldstone sur la conduite d’Israël et du Hamas lors de la guerre de Gaza 2008/2009, c’est parce que, pour lui, ce rapport prend une forme nouvelle qui lui fait peur, parce qu’il exprime aussi une critique officiellement et mondialement approuvée de l’usage excessif de la violence par Israël et, plus important encore, parce que ce rapport appelle à une confirmation internationale de la mise en responsabilité d’Israël et du Hamas pour leur comportement. Que le Yémen, l’Algérie ou la Somalie accusent Israël de crimes de guerre est une chose, mais c’en est une autre que les organismes des Nations-Unies fassent de même par le biais d’une commission dirigée par l’un des juristes les plus respectés au monde. Israël a basé toute sa politique étrangère, depuis sa création, sur sa capacité à pouvoir utiliser toute la force qu’il lui semble nécessaire pour se protéger et s’affirmer. Les critiques qu’il reçoit, et les initiatives juridiques telles que la Commission Goldstone ou les mandats britanniques, sont beaucoup plus alarmantes pour Israël que n’importe quel missile auquel il pourrait avoir à faire face dans son environnement, car elles érodent l’avantage indispensable sur lequel Israël a toujours le plus compté pour sa sécurité, pour son bien-être et pour l’affirmation de son entité sioniste : l’impunité pour ses actions militaires dans tout le Moyen-Orient, sa colonisation des terres arabes, la dépossession structurelle et l’asservissement du peuple palestinien.
C’est là le talon d’Achille d’Israël, et c’est ce qui explique pourquoi cette initiative de remise en cause de l’impunité d’Israël revêt une telle d’importance, et pourquoi elle continuera de s’amplifier jusqu’à elle parvienne à un règlement politique qui soit juste, tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens, qui pourront jouir alors de droits égaux dans une configuration étatique mutuellement satisfaisante qui affirme, au lieu de les fouler aux pieds, les préceptes de l’état de droit international.
Israël a raison de s’inquiéter, car finalement son comportement criminel est désormais soumis à un examen officiel international.
Rami G. Khouri écrit deux fois par semaine pour The Daily Star