- Le Devoir, vendredi 31 octobre 2008. Yves Bernard.
- Photo: Beyrouth.
«Nos chansons représentent le côté violent, le côté guerre de ce que l’on vit. On a besoin de montrer une autre image du monde arabe», disait Rayess Bek à la foule rassemblée au Medley mercredi soir lors du concert d’ouverture du Festival du monde arabe (FMA). Le rappeur reviendra dimanche soir avec Iben Foulen, son complice au sein d’AKs’ser, pour partager la scène de la Sala Rossa avec les Montréalais de Nomadic Massive.
AKs’ser veut dire «passage interdit» ou «contresens». Vulgairement simplifié, on peut prononcer «accès serre». Ses membres clament avoir été les premiers à écrire toutes leurs rimes en arabe, leur langue maternelle. «Nous avons formé le groupe dans la banlieue de Beyrouth en 1996, mais j’ai écrit mes premières chansons de rap arabe trois ans auparavant, relate Iben Foulen. Depuis la fin des années 80, des artistes marocains et algériens mélangeaient l’arabe au français, mais avant notre arrivée, si un groupe créait tout en arabe, il n’était pas commercialisé et nous ne le connaissions pas.»
Aujourd’hui, Rayess Bek est installé à Paris, Iben Foulen à Toronto. Les deux poursuivent malgré tout leur création commune sur une base quotidienne et les rappeurs font rythmer leurs mots en arabe du Maghreb à l’Arabie saoudite, en passant par l’Égypte, la Syrie, les Émirats arabes, la Jordanie, la Palestine, sans parler de la France. Le pays des Cèdres n’y échappe pas. «Nous sommes ravis de voir que le mouvement prend de l’ampleur, mais l’accès aux ondes radiophoniques demeure le plus souvent interdit. À cause de ce qui se passe au pays, peu de stations prennent le risque d’en diffuser.»
Cette réalité sociopolitique, il n’est question que de ça dans les textes d’AKs’ser. Iben Foulen précise. «On capte ce que l’on voit. C’est comme une caméra. On réagit, on dénonce. C’est précis, mais on ne nomme pas les gens. On utilise des métaphores. On ne prend pas position en faveur d’un parti politique ou d’une religion. Je suis vraiment fier qu’on ait réussi à conserver notre indépendance.»
Et comment le regard qu’il porte sur le pays s’est-il transformé depuis qu’il vit à l’extérieur? «On a pris la décision de sortir parce qu’on ne voyait plus le bout du tunnel. Lorsque vous vivez dans la violence, vous êtes un peu plus violent. Mais si vous en sortez, vous devenez un peu plus zen et vous analysez les drames d’une façon un peu plus rationnelle. Tout cela se reflète dans les paroles.»
Musicalement, AKs’ser ponctue son rap de chant et de pop arabe, d’ambiances dramatiques, de musique minimale, de beats bien plaqués, de samples d’instruments traditionnels, de clavier syncopé et d’un peu de français. Un enregistrement fourni par le FMA permet de constater la diversité d’une formation qui ne cesse d’évoluer. «À nos débuts, il n’y avait pas de référence pour notre genre de hip-hop, explique Iben Foulen. On devait constamment expérimenter, faire évoluer les rythmes et mélodies, adapter les sons à notre langue libanaise, changer constamment de flow. On a dû adapter le rap à notre culture. J’adore le genre, mais on essaie de le changer.» Et pour la première fois, l’accès leur sera complètement permis à Montréal, le temps d’un concert.
AKs’ser se produit avec Nomadic Massive à la Sala Rossa le 2 novembre à 20h.