La Palestine dans les textes
- Le Courrier de Geneve Emmanuel Dror, 21 octobre 2009
- Photo: Ronald de Hommel Israeli apartheid wall cutting through Palestine
Culture Chansons – Si le rap a repris le flambeau, la Palestine fut chantée par les grandes voix arabes, puis les Français Renaud ou Zebda. Tour d’horizon.
Alors que les hommes politiques sont empêtrés dans des stratégies cyniques ou dans une langue de bois perpétuelle, les chanteurs reflètent plus fidèlement le monde dans lequel ils vivent. Ils traduisent l’opinion de «la rue» mieux que ne le font les porte-parole officiels ou les médias traditionnels. Exemple avec l’histoire de la Palestine depuis quelques dizaines d’années…
Les chanteurs du monde arabe ont logiquement été les premiers à se sentir concernés par la tragédie vécue par leurs frères Palestiniens. Il serait faux, en revanche, de penser qu’ils chantaient sous les ordres de leurs gouvernants. Si les paroles pro-Palestiniennes d’Oum Kalthoum ont pu être en phase avec la politique de Gamal Abdel Nasser dans les années 1960, celles du chanteur révolutionnaire Cheikh Imam dans les années 1970 lui ont valu de nombreux séjours en prison.
Les poètes en musique
Quant aux sentiments anti-Israéliens exprimés récemment par le chanteur Shaaban Abdel Rahim, ils dépassent de loin les positions officielles de l’Egypte d’Hosni Moubarak qui, sous influence américaine, a «fait la paix» avec ce pays. Dans les années 1970, des chanteurs libanais affirment leur engagement en mettant à leur répertoire des poètes palestiniens. Ainsi Ahmad Kaabour met en musique Ounadikom de Tawfiq Ziad et Marcel Khalife fait de même avec de nombreux poèmes et même un opéra (Ahmed al Arabi) de Mahmoud Darwish. En 1971, la grande Fairuz consacre un disque entier à la Palestine (Jerusalem In My Heart), héritage qu’entretiennent aujourd’hui des chanteuses comme Julia Boutros ou Magida el-Roumi.
Dès les années 1980 en Occident, des groupes engagés abordent également la question palestinienne. En Angleterre, les Specials réagissent à la guerre du Liban (War Crimes) alors qu’en France, les Bérurier Noir racontent l’histoire cruelle et véridique d’Ibrahim, «élevé dans la misère, dans les bombes et dans la guerre: Palestine, quel est ton crime?».
L’espoir déçu d’Oslo
Après la première Intifada, fin 1987, des chanteurs comme Renaud (dans Triviale Poursuite) ou même Francis Cabrel (dans Tout le Monde y Pense) s’y mettent, mais aussi les groupes Zebda ou IAM. Comme tout le monde, les chanteurs espèrent que les accords d’Oslo en 1993 annoncent une paix juste. De reculade en reculade, dix ans plus tard, la colère d’assister toujours à la même oppression se double de celle d’avoir cru à de fausses promesses. On remarque alors que les chanteurs s’expriment de plus en plus à la première personne. Des Espagnols de Ska-P au Suisse Michel Bühler, en passant par les Français de Tryo ou de Gnawa Diffusion qui, dans Charlatown, ironisent: «j’attends la Palestine depuis 50 ans, l’Intifada appelle le monde, mais ça sonne occupé…». Alors que se construit le Mur et qu’Israël bombarde Gaza tout juste libérée en 2006, la Palestine est dans tous les esprits. Quand le rap envahit la scène française, elle est dans ceux des rappeurs de groupes comme Sniper, Kalash ou les 400 Hyènes. Même les stars internationales ne peuvent plus éviter ce sujet, pourtant peu consensuel, comme en témoignent Road to Peace de Tom Waits ou Rainin’ In Paradize de Manu Chao.
Cris sur Internet
Les styles musicaux changent, la technologie évolue, mais les émotions restent universelles face au destin tragique de ce peuple otage des tractations entre grandes puissances. Les terribles bombardements de Gaza en janvier 2009 déclenchent des réactions instantanées sur toute la planète. Le processus qui va du cri de rage de l’artiste à la vente d’un CD est trop long et c’est maintenant sur internet que ces cris se retrouvent, sous forme de morceaux ou de vidéos téléchargeables. Certains morceaux se vendent au profit des Palestiniens, tels ceux de l’Américain Michael Heart ou de l’Anglais Yusuf Islam (anciennement Cat Stevens), alors que d’autres sont des performances filmées, presque improvisées, telles que celle du groupe anglais Mongrel ou du Français Yann Tiersen.
Toutes ces chansons accompagnent les manifestations et autres mouvements de protestation. Parmi ceux-ci, certains appellent à boycotter les manifestations culturelles israéliennes, mais un aspect complémentaire de cette campagne consiste à promouvoir les artistes palestiniens. En premier lieu, pour démontrer qu’il existe un peuple et une culture vivante en Palestine, comme en témoignent les chanteuses Rim Banna ou Kamilya Jubran dont le dernier album, Makan, est sorti en début d’année. Mais également parce que les chanteurs palestiniens aspirent à nous transmettre leur expérience et que c’est donc aussi une façon de les soutenir que d’écouter ce qu’ils ont à nous dire, d’entendre leur vérité… Aujourd’hui c’est par le rap que s’exprime la jeunesse palestinienne, avec les groupes DAM (le plus connu), G-Town ou Ramallah Underground. Certains arrivent parfois à faire des concerts à l’étranger, alors ne les manquez pas s’ils passent près de chez vous…
Encadré:
les albums cités
Fairuz: Jerusalem In My Heart (1971)
Ahmad Kaabour: Ounadikom (1974)
Marcel Khalife: Ahmed al Arabi (1984)
Julia Boutros: Wayn msâfer (1992)
Magida el-Roumi: Resa’al (2008)
The Special AKA: War Crimes, In the Studio (1984)
Les Béruriers Noirs: Ibrahim, Abracadaboum (1987)
Renaud: Triviale Poursuite, Putain de Camion (1988)
Francis Cabrel: Tout le Monde y Pense, Sarbacane (1989)
Zebda: Baïonettes, L’arène des Rumeurs (1992)
IAM: J’Aurais Pu Croire, Ombre Est Lumière (1993)
SKA-P: Intifada, Que Corra la Voz (2002)
Gnawa Diffusion: Charlatown, Souk System (2003)
Tryo: Si la Vie M’A Mis Là, Grain de Sable (2003)
Sniper: Jeteur de Pierre, Gravé Dans la Roche (2003)
Michel Bühler: En Palestine, Chansons Têtues (2004)
400 Hyènes: Palestine, Ghetto Prodiges (2006)
Tom Waits: Road To Peace, Orphans (2006)
Manu Chao: Rainin’ In Paradize, La Radiolina (2007)
Rim Banna: Seasons of Violet (2007)
Kamilya Jubran: Makan (2009)
www.kamilyajubran.com
DAM: Dedication (2006)
www.myspace.com/damrap
G-Town: Darrdakeh (2007)
sur internet
Kalash: Guerriers Sans Armes (2006)
Michael Heart: Song for Gaza (2009)
Yusuf Islam: The Day the World Gets ‘Round (2009)
Mongrel: Long Live Palestine (2009)
Yann Tiersen: Palestine (2009)
vous pouvez trouver le texte de Michel BÜHLER sur la Palestine (et tous les autres) sur le site: http://www.michelbuhler.com/
Commentaire par PROUVEZE — 29 novembre 2009 @ 6:36