Palestine : Une terre, divisée
- Link Newspaper par Justin Giovannetti — Novembre 2010
Photo Palestiniens line-up au point de contrôle militaire israélien en Palestine occupée.
Ramallah, Palestine – « Pas de photos ! » cria le chauffeur palestinien alors qu’il se faufilait avec son autocar dans une circulation dense et malaisée en direction du check-point de Qalandya.
Même si le chauffeur reconnut que les Forces de défense israéliennes n’auraient probablement pas tiré sur un étranger qui prenait des photos, l’usage de la force meurtrière est autorisé à Qalandya. Les 600 autres check-points israéliens dispersés à travers la Cisjordanie opèrent de la même manière. Les Palestiniens se voient régulièrement rappelés à cette réalité.
Sur la route qui va de Ramallah – capitale de fait de la Palestine – à Jérusalem, Qalandya est l’un des quelques trous dans le mur d’Israël qui serpente sur 700 kilomètres en Cisjordanie. Un trafic quotidien désordonné de voitures et piétons s’écoule le long du mur couvert de graffitis alors que d’imposants miradors béton et des caméras les surplombent, menaçants.
Des milliers de Palestiniens passent à ce check-point chaque jour, sous la surveillance de soldats lourdement armés des FDI et de la police des frontières israélienne.
En dépit de cet armement et des exigences souvent humiliantes de la police des frontières, de nombreux palestiniens ont un sourire sur leur visage, et tirent parti au mieux de cette situation décidément unique.
Se frayant un passage parmi les véhicules dans la file bloquée en direction de Qalandya, un vendeur de café nous demande nos noms, à nous étrangers, tout en nous proposant du thé turc frais.
En envoyant des baisers et en criant par la fenêtre, « Je vous aime ! », il en propose en plaisantant à une femme étrangère qui voyage dans le même car que moi.
Trois amis se joignent à lui et participent à ce flirt pour s’amuser.
La nature imprévisible de l’occupation israélienne signifie que le temps en Palestine travaille autrement, qu’il n’est pas aussi précieux qu’une denrée. Un trajet de cinq minutes peut demander cinq heures ; tous les rendez-vous sont modifiables et provisoires.
Il est 8 h 15 et la Palestine n’a pas d’heure de pointe, elle a des check-points.
« Nous provoquons le siège. Nous provoquons l’oppression, » me dira Qadoura Mousa, gouverneur de Jénine, deux jours plus tard, à l’université arabo-américaine. « Nous sommes attachés à la paix, mais pas à la paix qu’on nous impose ici ».
En dépit de la rhétorique des autorités palestiniennes, la situation sur le terrain ne relève pas de la provocation, même passive. Cette vie, c’est la normalisation de l’occupation.
Après avoir passé une demi-heure à flatter la pédale de frein, nous arrivons au check-point.
Il ressemble à n’importe quel poste frontière entre le Canada et les Etats-Unis, mais les gardes du contingent n’ont pas plus de 18 ans, ils portent des tenues de camouflage et des armes automatiques.
Après nous avoir arrêtés, un agent homme de la police des frontières monte dans notre autocar avec son fusil d’assaut et se dirige vers l’arrière. Une soldate des FDI monte elle aussi et attend en tête de l’autocar, le fusil à la main.
Les deux armes sont rafistolées, montrant visiblement qu’elles ont déjà servi, et les sûretés sont ôtées. Les chargeurs engagés dans les fusils sont chacun rattachés à un deuxième ; quand ils passent devant nous, nous notons que ces soldats dont prêts à tirer.
Alors que l’agent de la police des frontières israélienne descend l’allée centrale du car, la soldate des FDI attend qu’il soit arrivé à l’arrière et le suit. Les tensions, des deux côtés du fusil, sont nettes.
Aucun passeport n’est encore demandé, mais l’intimidation persiste.
Dans les files voisines à l’extérieur, les Palestiniens se tiennent debout, près de leur voiture, habitués, pendant que des soldats examinent méticuleusement le coffre et les sacs. Même les enfants sont fouillés.
Nous roulons maintenant dans Jérusalem – notre autocar porte une plaque d’immatriculation qui nous a permis de circuler en Israël – et nous continuons vers le sud, vers Bethléhem, en contournant le mur d’un côté et le désert de Judée de l’autre.
Des deux côtés, les autoroutes sous contrôle israélien, même en Israël, sont bordées de barbelés. Alors que nous traversons des colonies – certaines sont carrément des grandes villes et des banlieues où vivent jusqu’à 40 000 personnes -, le mur devient plus impressionnant.
Alors que les Nations-Unies considèrent ces colonies comme illégales, les colons israéliens sont protégés par le mur toujours présent, surplombant l’autoroute, bouchant presque complètement la vue sur les colonies. Autrement, la route va tout droit, sur quatre voies, coupant à travers les montagnes et enjambant les vallées.
La ville de Bethléhem est l’un des lieux saints du christianisme et se trouve aussi sous le total contrôle palestinien. Alors que des millions de touristes chrétiens visitent le lieu de naissance de Jésus chaque année, les hôteliers palestiniens d’ici ont beaucoup de mal à trouver des clients à cause des actions israéliennes.
« Etre là où Jésus est né et être entouré par un mur, ce n’est pas juste, » dit Khalid Ali, chauffeur de taxi à Bethléhem. « On vient par millions du monde entier visiter cette ville et la basilique où Jésus est né, et ce qu’ils voient, c’est quelque chose de mal, le mur. C’est inacceptable. »
Le mur se trouve à moins de cinq minutes à pied de la basilique de la Nativité. Les colonies, qui dominent l’horizon, séparent maintenant les Chrétiens en Terre sainte.
« Bethléhem devrait être ouverte à tous, sans considération d’âge ou d’autorisation. Ils ne peuvent pas vous donner l’ordre ou l’autorisation de prier ou de ne pas prier, » reprend Ali.
Un poste de contrôle palestinien aux abords de Bethléhem fait faire demi-tour à tout curieux israélien.
« Le mur a affecté l’économie à 100%, » dit Ali. « Quand les gens veulent faire du commerce entre Hébron et Ramallah, ils ne peuvent pas passer par Jérusalem. Il leur faut prendre le chemin du désert, traverser la vallée de Feu. Ça fait une heure et demie de plus de déplacement.
« Jérusalem nous est interdite, à nous Palestiniens. Elle est à 10 minutes (…). Elle est sacrée pour nous et nous ne pouvons pas nous y rendre. C’est inacceptable. »
Le mur est aussi près du camp d’Aïda qu’il était près de la basilique de la Nativité ; Aïda est un camp de réfugiés qui abrite environ 10 000 Palestiniens, il fut construit à l’origine pour les Palestiniens expulsés de leurs foyers par le déferlement des forces israéliennes en 1948.
Juste au-dessus de l’entrée du camp d’Aïda, on voit ce que le professeur en études islamiques, Yusef Salim, appelle la plus grande clé du monde. Sont inscrits dessus, les mots, « Pas à vendre », en arabe et en anglais.
« Elle est symbolique. Les Israéliens ont pris les maisons de beaucoup de gens de ce camp et ces gens ne veulent pas reconstruire alors qu’ils ont des maisons pour y retourner, » dit Salim.
« Ils ont gardé leurs clés, pour pouvoir retourner chez eux, un jour. »
La situation à l’intérieur du camp est désespérée. Une grève des personnels des Nations unies a fait cesser la collecte minimum des ordures existante. Les détritus s’entassent dans les rues et la puanteur des ordures en combustion est partout. Le dépôt de l’aide humanitaire des Nations unies est abandonné, sa porte est fermée pour garder les fûts d’eau à l’intérieur.
Les enseignants des Nations unies aussi sont en grève. A l’extérieur de la cour de l’école primaire de garçons, les enfants grimpent sur des barbelés et escaladent des murs de 12 pieds. Ils n’ont rien d’autre à faire.
Les immeubles en béton construits sur trois étages pour les réfugiés sont dans un état extrême de délabrement, avec des trous de la taille d’un ballon de basket dans les murs et les cages d’escalier. À l’intérieur, des jeunes filles rient un peu nerveusement et montrent ces visiteurs étrangers. Des enfants montent et descendent les escaliers délabrés.
De l’autre côté de la rue de ces immeubles, c’est le mur d’Israël, il sépare les chèvres des réfugiés de leurs pâturages. Les chèvres montent et descendent sur le côté du mur, mangeant les mauvaises herbes et les détritus.
Malgré leur situation, les enfants du camp sont optimistes. Ils parlent avec affection de la récente visite du pape, où celui-ci dénonça leurs conditions pareilles à un apartheid dont il était le témoin. Désignant une grande fresque murale, peinte par le célèbre tagger britannique Bansky, représentant un escalator montant des personnes jusqu’en haut du mur, vers la liberté, les enfants disent conserver l’espoir d’un avenir meilleur.
Justin Giovannetti s’est rendu en Palestine en qualité de délégué du Quebec invité au Forum mondial de l’Education.