Haïti vs le wifi de l’ignorance

9 septembre 2012 | Posté dans Canada, Impérialisme, Politique
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    par Ricardo “Emrical” Lamour, militant et artiste hip-hop

L’ignorance de certains prend trop de place dans le monde du savoir. Et qui dit savoir, dit pouvoir.

L’autre jour, je suis tombé sur un texte «L’État Juif et la Perle des Antilles» faisant des rapprochements boiteux entre les deux pays, en citant, parmi plusieurs arguments que les deux pays avaient de belles plages et que l’État d’Israël était le premier à courir au secours des Haïtiens…. What??

Devrait-on leur remettre une médaille d’or alors qu’ils sont aussi les premiers à nier les souffrances à Gaza?

Sont-ils restés aussi longtemps que les cubains qui dans leur pragmatisme ont été à la rencontre des Haïtiens vivant dans les montagnes et les hauteurs?

Ont-il accueilli des étudiants haïtiens dans leurs universités comme le Sénégal? Ont-ils annulé totalement la dette d’Haïti comme le Vénézuela? Alors pourquoi faire ce lien? Est-ce qu’on parle de ce même État Juif qui tente d’expulser présentement ces immigrés africains?

Ce même Israël qui s’est construit une nouvelle politique “d’aide humanitaire” et de “coopération internationale” ciblant les pays africains et les Antilles?

(soupir…)

Haïti est sous l’occupation américaine. Les États-Unis sont les alliés indéfectibles Israël.

En effet, s’il y a un lien à faire entre Haïti et l’État Juif, c’est au niveau de sa classe bourgeoise qu’il faut regarder. Une classe connue non seulement pour sa pratique de l’endogamie, mais pour le fait que leur richesse reste dans un cercle très restreint. Par exemple, Gilbert Bigio, le milliardaire haïtien d’origine syrienne et membre de la minuscule communauté juive en Haïti, ne croit pas que le reste de la population haïtienne ait un problème avec sa richesse. A t-il posé la question à ces Haïtiens qui sont obligés de manger des galettes de terre?

Je dirais donc à ces amoureux et amoureuses d’Haïti qui ne vivent que d’amour et de WiFi de se débrancher de la culture du déni et de s’ouvrir à la réalité concrète qui affecte le quotidien du peuple haïtien. Le silence de plusieurs Haïtiens de la diaspora, des ONG, des églises haïtiennes, des leaders de la société civile face aux raisons géostratégiques et géopolitiques expliquant l’état actuel d’Haïti est un merveilleux outil entre les mains de ceux qui profitent de ce pays. Ce silence est aussi un frein à l’épanouissement de la majorité du peuple haïtien, le vrai peuple, pas la minorité qui jouit égoïstement de privilèges ancestraux, économiques ou autre, mais celui qui est invisible.

Parlons de:

– La construction d’hôtels cinq étoiles au coeur de bidonvilles avec de l’argent qui devait aller directement aux victimes du séisme;

– La bourgeoisie haïtienne qui opère un trafic d’influence se faisant sentir dans:
1. les agences gouvernementales étrangères
2. certaines ONG
3. les ambassades
4. les institutions financières étrangères
5. leurs entités faisant de la sous-traitance pour des multinationales et payant les ouvriers avec à des salaires minables, le tout facilitant la domination étrangère, la dépendance, l’endettement et le sous-développement perpétuel sous le couvert d’altruisme, de libre marché et de développement;

– la mort de la souveraineté économique d’Haïti alors qu’on rapporte, paradoxalement, suite à de récentes activités d’exploration minière dans la dernière année, qu’il y aurait pour près de 20 milliards d’or dans le sous-sol haïtien. La supervision de ces activités minières est assurée par des compagnies canadiennes et américaines;

– les conséquences environnementales, économiques et culturelles de la construction du Parc Industriel de Caracol ( Caracol, le premier Port commercial du Nouveau Monde) sujet à l’installation d’entreprises à la recherche de cheap labor au détriment de l’agriculture haïtienne;

– les liens qui unissent Haïti et l’Afrique noire;

– les conséquences de l’obsession de créer des emplois (zones franches, éviction de fermiers haïtiens, l’installation d’entreprises étrangères favorisant l’esclavage moderne);

l’asservissement des travailleurs haïtiens payés pas beaucoup plus cher aujourd’hui, soit 3$US, que le salaire touché il y a 35 à 40 ans, cela à cause de l’inflation ;

– l’assassinat de la paysannerie haïtienne à cause des violences systémiques liées aux politiques américaines et néolibérales à l’endroit des paysans, le tout résultant en l’importation de pratiquement toute la nourriture haïtienne. Merci Bill Clinton et sa bande;

– le silence de l’ONU sur sa responsabilité dans la présence de la bactérie mortelle de choléra sur l’île d’Haïti tuant plus de 7000 Haïtiens;

– la supercherie de la présence de la MINUSTAH en Haïti;

– le degré d’absence de leadership du gouvernement haïtien;

– le court-circuitage des organisations haïtiennes lors de la distribution de l’argent d’aide humanitaire;

– et j’en passe…

En réponse à Martine St-Victor qui dit: «Et chose certaine, pour Haïti comme pour Israël, les meilleurs ambassadeurs de marque demeurent les touristes. », je réponds qu’il n’y a pas meilleurs ambassadeurs d’un pays que ses citoyens. Ainsi, tant que le paysan haïtien ne pourra parler en bien de son gouvernement, le point de vue du touriste ne restera qu’une tentative de distraction massive de la part de l’élite haïtienne et des intérêts étrangers.

Oui, la désinformation sur Haïti est telle qu’à chaque fois qu’on en parle c’est en accordant plus d’importance au regard de l’autre qu’au regard du peuple haïtien. On analyse le pays avec des critères exogènes. On le pille de sa valeur ajoutée et on lui accole un tag espérant que cela nous donnera un V.I.P auprès de l’équipe gagnante.

Bien que chacun ait droit à sa liberté d’expression, la diffusion de certaines idéologies aux allures innocentes contribuent à atrophier l’imaginaire de gens qui ont soif de vérité sur les véritables raisons qui font en sorte que le peuple haïtien fut un jour respecté, par les États qui l’oppressent à l’heure actuelle. Ça vous dit quelque chose la guerre de Savannah?

S’il y a un tourisme à encourager, c’est celui qui favorise la réduction de l’écart entre les classes, pour la libération des masses et non un tourisme de masse. C’est un tourisme culturel encourageant l’ouverture aux enjeux des peuples cherchant à s’affranchir de toute domination et non un tourisme simplement axé sur un assouvissement aveugle de tous les plaisirs.

Être haïtien signifie vouloir la liberté pour tous. C’est d’ailleurs ce qui a permis à plusieurs exilés syriens, libanais, allemands, juifs sépharades fuyant les persécutions religieuses, les privations économiques et l’oppression politique de leurs pays de trouver refuge sur ce qui demeure pour les colons d’autrefois et d’aujourd’hui, La Perle des Antilles, mais qui reste, dans la mémoire des petits enfants de l’Afrique et enfants de Jean-Jacques Dessalines, la première république noire indépendante.

Bien que nous vivions à l’ère de l’information et du déficit d’attention, il est inexcusable de laisser notre méconnaissance ou notre insouciance personnelle et professionnelle servir de véhicule de propagande entre les mains d’un système qui nous étouffe à temps plein.

suivre Ricardo Lamour sur Twitter: @emrical

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